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Faut-il se protéger quand on soigne ? (S'accueillir pour accueillir l'autre)

  • Photo du rédacteur: Gwenaelle Goubin
    Gwenaelle Goubin
  • il y a 1 jour
  • 8 min de lecture

« Je retournerai à la vie du monde, ou je me retirerai dans une thébaïde pour pleurer sur les fautes du genre humain et me préserver de la contagion. »

George Sand


A l’instar de ces mots, j’ai ressenti à intervalles réguliers, au début de mon parcours, l’urgence de me retirer, d’hiverner, de sortir du contexte, non pour pleurer sur les fautes du genre humain – j’ai assez des miennes – mais afin de me retrouver avec moi-même, d’écouter à nouveau mon propre silence, de ne plus être assaillie des émotions et pensées de ceux qui m’entouraient.

Dans les phases de retranchement, je pouvais en venir à épier, inquiète, la rue avant d’oser ne serait-ce que sortir ouvrir ma boîte aux lettres, ne souhaitant être en contact avec qui que ce soit, pas même d’un regard, ne pas avoir à faire l’effort d’un sourire, d’un ‘bonjour’. Alors, je prenais plaisir à plonger dans mes tréfonds, dans mes mondes internes, poser par écrit l’expérience, arrêter le flot continu des activités humaines et le laisser hors de moi, sortir de l’espace-temps, retrouver ce sentiment d’universalité qui me porte aux nues.

Alors seulement j’avais l’impression de reprendre à pleines mains le cours de mon existence, d’en avoir la maîtrise.

Sentir les êtres, cela a toujours été. Néanmoins, il fut une époque où j’en avais conscience, où la distinction entre mon atmosphère et celle de l’autre était plus palpable. Enfant je 'voyais', et que je sois face à des personnes, j’entendais en eux leurs non-dits, leurs ressorts cachés, les penchants susceptibles de les animer d’une extrême à l’autre.

Las, vient trop tôt (ou plus tard) l’âge où l’on veut s’assimiler, s’intégrer, être reconnu par son espèce. Période adolescente où l’être se cherche au travers du regard de ses acolytes. Mon être à moi avait soif de se sentir 'normale', de balayer cette acuité qui m’empêchait de communiquer de façon légère, celle que je croyais être naturelle. Quand on voit les gens au travers du prisme de leurs potentialités les plus extrêmes, du nuancier de leurs teintes, de la plus sombre à la plus lumineuse, comment parler alors de tout et de rien, sans faire paraître l’étendue des mondes que l’on capte en eux ?

A l’époque, empathie, hypersensibilité, hpi ou hpe n’étaient pas encore des termes à la mode, et nulle presse n’en faisait mention.

Dès lors, j’ai voulu désapprendre, obscurcir ma vue, et je m’y suis entraînée jusqu’à m’y perdre, car, en enfant naïve, je n’avais pas compris que ce n’était pas la faculté que j’enlevais de moi, mais plutôt la conscience de cette faculté.

Certes, je ne ‘voyais’ plus dans les autres, c’était pire : ils me traversaient et s’y greffaient, sans que je ne m’en rende compte. Mes pensées, mes émotions, mes impulsions, jusqu’à mes élans amoureux, ont-ils vraiment été les miens ou n’ont-ils pas été plutôt une soupe où se mêlaient différents composants dont la bonne moitié ne m’appartenait pas ? C’est ainsi qu’un ami de lycée finit par me déclarer un jour : « Toi Gwen, on dirait que tu changes de caractère toutes les cinq minutes ». Évidemment !

Par chance, une alarme rouge est souvent venue tonner à mes oreilles, décréter un retrait obligatoire. Par chance, j’ai toujours eu l’écriture pour recréer de l’espace en moi et allumer la lumière… Et des expériences où, de façon indiscutable, je ne pouvais que constater que les images se formant dans l’esprit d’un interlocuteur venait se déposer en moi aussi.

Mon choc le plus grand toutefois fut avec ma mère, et là je m’aperçus à quel point j’étais devenue perméable à souhait. Venue manger chez moi, j’avais diffusé le disque d’une chanteuse et contrebassiste que j’affectionne particulièrement pour ses accents sauvages. J’avais envie de lui faire découvrir. Or, au fur et à mesure du repas, j’en venais à baisser le son, trouvant finalement sa voix ‘criarde’. Au moment où j’éteignais n’en pouvant plus, ma mère poussa un soupir de satisfaction : « Ah, qu’est-ce que ça fait du bien ! C’était criard ta musique ! »

Ainsi donc, j’étais capable d’en venir à exécrer ce que j’aimais, simplement parce qu’un autre l’exécrait ? Cela me donnait sérieuse matière à réflexion, non seulement à mon échelle, mais d’autant plus sur les interactions qui existent entre les humains en général ( les modes d’influence et de manipulation exercés par la propagande ou la publicité par exemple ) et par extension entre l’homme et son environnement.


En débutant dans le soin, ce don m’est apparu plusieurs fois être plutôt une malédiction. A la fois je pouvais enfin comprendre et agir avec, à la fois je me retrouvais à la merci de mon incapacité à ‘gérer’ la souffrance qui me parvenait d’une personne.

J’ai goûté à l’inconfort quand, jeune praticienne, je me retrouvais face à des personnes qui me rencontraient pour la première fois (avec toute ma jeunesse là où ils s'attendaient à voir une ancienne bien expérimentée de ses vieilles mains !) et se sentaient mal à l’aise. Comment se confier et confier son corps à une inconnue ? Si à présent j’ai appris à faire la distinction, à l’époque leur malaise se traduisait en moi par un brusque vertige : Serais-je vraiment capable de leur apporter quelque chose ? Et un terrible manque de confiance m’envahissait, mes mains se mettaient à trembler en n'osant approcher leur chair et je devais faire un violent effort sur moi-même pour faire abstraction de cette émotion parasite. Alors, peu à peu et passée l’appréhension du premier contact, je sentais l’être se détendre et se relâcher sous mon toucher et je pouvais respirer moi aussi.

J’ai goûté à la douleur du corps des autres quand l’information de ce qu’il vivaient traversait mon propre corps aux mêmes endroits. Précieuses informations que je ressens toujours et qui guident mes mains là où elles doivent cheminer, exactement au bon endroit. Mais quand l’inflammation était violente, c’est avec violence que je la ressentais également. Avec le temps, j’ai appris à la regarder pour ce qu’elle est : un indicateur, non un poids dont je dois me charger. Seulement pour la voir comme telle, il m’a fallu flancher plusieurs fois et tomber dans le piège du transfert. Cependant, ce n’était pas ce qui me troublait le plus. En effet, ayant toujours été de bonne constitution physique, si un mal se transférait à mon corps, je le digérais en maximum deux jours, ce qui était bien peu par rapport à ce qu’avait pu vivre la personne. La seule exception fut pour un homme qui suivait un traitement par radiothérapie. Je me retrouvai alors avec des brûlures similaires durant deux mois d’affilée. Gênant mais non insurmontable, et cela me permit d’obtenir un précieux indice de la part d’un ami : je pouvais travailler par analogie. Ainsi pour une personne dont les maux étaient liés au feu, j’en vins à travailler avec de l’eau. Ce fut le cas notamment pour une femme atteinte du terrible syndrome de Gougerot-Sjögren dont la particularité est de dessécher toutes les muqueuses. Elle arriva dans un tel état de fatigue qu’elle était même incapable de lire ou de regarder la télévision. Son ventre était gonflé et ses intestins ne fonctionnaient plus. Munie de mon bol d’eau, je la massais durant une bonne heure avec le précieux liquide, concentrée dans la pensée de réhydrater son corps. Le lendemain elle passait la tondeuse dans son jardin et moi je n’avais gardé aucun impact de ce soin.

J’ai aussi goûté à la souffrance des âmes et ce fut certainement la plus compliquée pour moi à dépasser. Pour n’en citer qu’un exemple, celui de ce vieil homme venu me trouver pour des douleurs dans les bras et les épaules. Or en le touchant, c’est son profond désespoir qui m’assaillit, un sentiment de vide immense lui rongeant l’intérieur. Cet homme venait de perdre son épouse, celle qui avait partagé tant d’années de sa vie. Sortant du soin, je partis respirer en forêt, mais c’est comme si le poids de son émotion m’avait écrasée. J’avais la taille d’un nain marchant sur les genoux. La Terre était basse et lourde. L’obscurité était prégnante, aucune lumière au bout du tunnel…

Au bout de cette année 2006, j’ai décidé de m’arrêter et je suis partie en voyage. Je voulais la Vie et je voulais comprendre aussi, avant de recommencer. Ce n’est qu’après la naissance de mon fils que je me suis sentie prête à investir la vocation. J’avais cheminé.



Si je me permets ainsi de m’étendre quelque peu sur mes débuts chaotiques, c’est qu’il m’a été donné depuis, bien souvent, d’entendre des personnes manifester des mêmes inconforts, de la même hypersensibilité, effrayées par l’ampleur de la tâche ou les transferts qu’ils pouvaient ressentir. J’ai constaté aussi plusieurs fois la distance rétractile que prenaient certains thérapeutes, que ce soit dans le domaine conventionnel ou alternatif, avec les patients venus quérir leur aide. Mesures de protection, distanciation physique par le retrait derrière un bureau, les yeux fichés derrière un écran salvateur où l’on se cache, visage de marbre d’où, sans ciller, l’on contemple l’autre déverser les pires horreurs de sa vie parfois, les expériences innommables dont son parcours a été affublé.

Entrer dans le soin, c’est côtoyer la souffrance au quotidien, qu’on se le dise !, et si je ne veux pas entendre la souffrance de l’autre, si je ne m’en sens pas capable, alors à quoi bon faire ce métier ? Dois-je pour autant me blinder d’armures et me protéger ? Mais comment pensons-nous pouvoir accompagner l’autre et accéder à son univers si nous nous retranchons derrière des barrages ? Pour connaître l’eau, ne faut-il pas accepter de se mouiller un tant soit peu ?

Là est toute la difficulté qui m’amène à poser une nuance dans les termes : ‘se protéger’ est complètement différent dans le sens que ‘ne pas s’impacter’. Je ne me protège pas d’un être qui souffre. Il n’a plus lui-même de barrières, ou alors elles sont à vif, parfois accompagnées de la honte d’avoir à demander de l’aide, de devoir confier à un tiers inconnu son corps, ses pensées, ses émotions. En revanche, si je m’impacte et porte la douleur de l’autre, si je me retrouve envahie de ses maux, comment pourrais-je alors lui apporter soulagement ?

Il est très important d’utiliser des mots justes, ceux ci fabriquant les concepts qui nous animent. Restons donc sur cette pensée de ‘ne pas s’impacter’.


Quant à la façon d’accueillir l’autre dans notre espace de soin, peut-être serait-il adéquat de nous poser question en tant que soignants du comment nous-mêmes avons besoin d’être reçus lorsque nous sommes en faiblesse, de nous rappeler l’humanité fragile que nous constituons nous aussi, les ombres qui nous animent...

Le soin est un métier d’amour profond.

Quand je soigne, je pénètre un monde qui n’est pas le mien mais dont j’ai besoin d’écouter toutes les parties, les belles comme les plus sombres. Pour ramener une personne à elle-même, la ramener à la surface, il me faut parfois plonger les mains dans la boue et aller y quérir la flamme. Parfois encore, je me cogne à des portes blindées. Alors, en douceur, il me faut caresser la porte dans le bon sens, la rassurer, écouter ses peurs et ses gardes et si, par chance et à force d’amour, elle comprend qu’elle est en lieu sûr, alors elle lâche prise et déverrouille ses loquets.

Pour cela, il faut beaucoup d’amour et de proximité. Ceux-ci sont issus de la reconnaissance de mes propres ombres et fragilités, de la mémoire de tous mes faux-semblants, de mes moments d’abandon de moi-même, de mauvaise foi, voire d’auto-destruction. C’est de ce constat de ma grande imperfection que je tire cette grande compréhension de l’autre, car je suis moi-même passée par beaucoup d’errances et je chemine encore avec et au travers de certaines !

 
 
 

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